jeudi 27 février 2014

La filière laine en Wallonie

Bleu du Maine
Lorsque nous avons commencé à mûrir notre projet de poupées type Waldorf, un certain nombre d'idées fortes se sont imposées à nous. La laine utilisée pour la confection d'une Fannette est à la fois visible (les cheveux, l'habillement) et cachée (le rembourrage).
Si les contraintes semblaient à priori ne pas être les mêmes entre "ce qui se voit ou non", il nous paraissait indispensable qu'un certain nombre de critères comme la qualité des matériaux, leur résistance, leur traitement respectueux de l'environnement, de l'animal et de l'homme soient à la hauteur des exigences que nous nous étions fixées.
C'est à ce moment que nous avons rencontré les plus grandes difficultés. Bien entendu, il existait sur le marché des solutions, prêtes à l'emploi, mais nous les avons écartées parce qu'elles n'entraient pas dans la philosophie que nous nous étions fixée : obtenir des matières de qualité, locales, qui puisse valoriser le travail des uns et des autres.
Notre constat fut amer : trouver de la laine en France qui puisse respecter un cahier des charges aussi simple relevait tout bonnement de la quête du Graal!

Un constat accablant

Recherches sur internet, la série de mots clés évidente comme "Filière Laine" nous proposa instantanément le site de la filière laine ... Wallonne !
Et même en osant ajouter, du bout des doigts, l'adjectif "française" le résultat resta quasiment le même. A croire que la Wallonie avait passé des accords avec Larry Page en personne!
Intriguée, pour ne pas dire légèrement piquée au vif à une époque où notre illustrissime marinière semblait vouloir à elle seule repousser l'invasion d'une gigantesque armée de cafetières rouges bon marché, je m'exécutai en cliquant sur le lien proposé. L'ours présent à mes côtés me regarda avec un sourire béat. Lui dont certains ancêtres naquirent dans les environs de Bouillon ne pouvait que jubiler devant mon désarroi très franchouillard. Renvoi d'un sourire agacé. Nous redevînmes sérieux car l'heure ne semblait plus devoir être à la plaisanterie. Ma croisade commença à devenir la sienne.
Reportages, lectures, contacts pour constater que la même problématique semblait avoir cours chez nos cousins Belges.
Ainsi, de l'autre côté de la frontière, le constat apparut tout aussi accablant : la quasi-totalité de la laine récoltée en Wallonie était exportée en Chine tandis qu'environ 50% de la laine wallonne n'était pas collectée mais brûlée ou jetée. En Limousin, certaines laines subissent le même sort ou sont utilisées (avec succès d'ailleurs) comme paillis. Chez d'autres (je l'ai vu de mes propres yeux) elles finissent sur des tas de bois... Ailleurs les choses ne semblaient pas mieux tandis que les chiffres que nous consultions étaient consternants.
12.000T de laine c'est à peu près la production française pour l'année 2012. 90% de la laine produite part à l'étranger notamment à destination de la Chine et de l'Inde. 50% sont perdus arrivés à destination. Les 10% qui restent seront vraiment valorisés.
Le kilogramme de laine est acheté moins d'un euro à l'éleveur. Tondre un mouton revient à environ 1,5€ pour deux kilos de laine obtenus. Le calcul fut rapide et l'on commença alors à saisir l'ampleur du problème et l'immense gâchis qui se profilait derrière.[1].
Mais il y avait encore pire dans l'absurdité de la situation comme nous le révéla un article de la RTBF au travers des propos d'Ygaëlle Dupriez, l'une des représentantes de la filière laine Wallonne:
"Nous avons constaté que les artisans et fabricants importaient parfois de la laine car ils éprouvaient des difficultés à s'approvisionner en Wallonie. Tandis que les producteurs ne savaient pas où partait leur laine ou l'envoyaient en Chine, ce qui coûte moins cher que le transport jusqu'au lavage wallon...".

L'exemple Wallon

Dès lors, l'idée de créer une filière qui puisse mieux valoriser la laine wallonne, représentant un potentiel annuel de 140 tonnes pour 57 500 brebis, donne vie à un ambitieux projet. La filière demande un soutien financier plus fort à la région, l'autorisation de la découpe de la viande à la ferme et l'encouragement à l'installation d’élevages ovins. En effet, seulement 13% de la viande d'agneau et 6% du fromage de brebis consommés en Wallonie sont d'origine wallonne...
Créée voici trois ans par l'agence de développement territorial NGE ASBL, la filiale constitue un réseau rassemblant éleveurs, tondeurs, transformeurs et clients.
La Filière laine a ainsi créé le premier "Répertoire de produits en laine locale" qui rassemble les 21 produits fabriqués à base de la laine de mouton produite en Wallonie.

Développement durable

La plupart des races élevées aujourd’hui ont été sélectionnées pour leur qualité bouchère et pas pour leur laine, alors qu'il est établi que la meilleure rentabilité pour l’éleveur réside dans une association optimale entre viande et laine. En Wallonie, la société DBCWool met en oeuvre avec des éleveurs locaux des partenariats gagnant-gagnant afin de collecter la laine, se charger de son traitement et intéresser les éleveurs aux bénéfices de l'opération en numéraire ou en produits finis. En France, Ardelaine, utilise une approche similaire.
L'une des problématiques immédiate réside dans le coût de valorisation de laines produites en petits volumes. La Filière laine wallonne a mis en oeuvre un projet de lavage de petits lots (200-300 kg de laine) du côté de Bastogne, sur la base d'un travail réalisé en Suisse par une association du Tessin en collaboration avec l’Université de Locarno. Des petites sociétés capables de laver, carder ou filer la laine dans des quantités restreintes voient peu à peu le jour, même en France.
Chaque race ovine a ses propres spécificités, chacune pouvant apporter des réponses aussi bien à des problématiques environnementales qu'humaines, sans perdre de vue la rentabilité nécessaire à la survie de l'élevage. Ce savoir à mutualiser fait aussi parti des prérogatives de la Filière laine qui aide les éleveurs en leur apportant des connaissances complémentaires des leurs tout en rompant l'isolement dans lequel ils pourraient se trouver.

L'isolement n'est pas une fatalité

Le dynamisme développé par cette série d'actions, la mise en réseau des différents acteurs, nous a redonné espoir car cela démontre qu'il n'y a pas de fatalité, que les solutions existent même si l'effort à fournir est important.
Les débouchés de la laine sont nombreux et peuvent toucher différents secteurs de l'industrie : literie, revêtements de sol, habillement, isolation pour les maisons, etc... Mais la désorganisation du secteur, la perte des savoirs sur les possibilités de valorisation de la matière, associées aux prix bas n'incitent pas les éleveurs à reproduire ce qui se pratiquait à une époque.
A une heure où l'ascension de la courbe régressive du chômage finit par donner le tournis même à celles et ceux qui se targuaient d'avoir le pied marin, nous pensons qu'il y a matière à réfléchir sur l'ensemble des débouchés de ce secteur. Cette remarque est aussi valable pour le lin dont la France est le premier producteur mondial... Pourtant, malgré cette morosité "dunkerquoise", petit à petit... la laine revient à la mode. D'une part parce que ses domaines d'application sont nombreux, ensuite parce que le produit fini ; lorsqu'il est conçu avec soin à partir de matières de qualité ; est incomparable avec ce qui se fait par ailleurs.
Et c'est grâce à ce genre d'initiative menée avec pugnacité par certains ; comme la Filière laine Wallonne ; que les lignes commencent aujourd'hui à bouger.

Valoriser

En France, à défaut que l'Etat ne s'engage dans une véritable politique qui sorte d'une logique purement statisticienne et s'appuie enfin sur une vision stratégique à long terme, nous pensons que c'est au consommateur d'être l'un des moteurs de cette renaissance possible.
Pour notre part nous souhaitons savoir avec qui nous travaillons, créer des liens avec les différents acteurs, être confiants quant à la matière que nous utilisons pour concevoir non seulement nos Fannettes mais aussi certains de nos vêtements. Et puis, sur un plan humain la chose nous semble tout aussi importante car nous pensons que la logique productiviste a dépassé les limites de la raison. L'Homme devra être remis au centre des choses, qu'il porte une marinière ou non c'est égal, en Mérinos ce serait néanmoins parfait.
Les coûts ? Nous laissons chacun s'en faire une idée en comparant sur différents critères et en fonction de ses propres besoins (la carte que nous mettons en ligne pourra peut-être les y aider un peu). La réponse pourrait bien bousculer l'évidence trompeuse et prendre à contrepied plus d'une personne. Nous en faisons le pari!

Nous tenions à faire ce billet non pas pour encenser le travail de certain(e)s (quoique ce ne serait pas volé...) mais pour montrer, aux consommateurs que nous sommes tous, que les idées reçues associées à la tendance actuelle (qui entretient gentiment les précédentes) vont à l'encontre de nos intérêts.
Ma grand-mère disait souvent que "nous n'étions pas assez riche pour acheter bon marché". J'ai mis des années à comprendre tout le sens de cette phrase. Et si je suis un peu lente parfois, aujourd'hui je la remercie de me l'avoir maintes fois tambouriné sur ma tête de mule. Alors... au diable les cafetières!



Approfondir
[1] - Le salon de l'agriculture Edition 2014
Pas étonnant que certains évitent soigneusement de visiter les stands ovins au salon de l'agriculture... De là à agiter le loup comme vecteur principal de la crise de la filière il n'y aurait qu'un pas à franchir avant de tomber sinon dans le tragique au moins dans le grotesque voir le burlesque. Comme le fut tout autant le fait d'agiter la peur du vieux loup de mer en marinière pour faire croire que l'invasion des cafetières rouges n'aurait pas lieu... Autant envoyer des soldats au front sans leur donner la moindre munition ou leur demander d'aller les chercher chez l'ennemi. Même aux pires heures de Stalingrad ces Russes tant décriés en donnaient à un soldat sur deux... Et le "camarade" Joseph n'était pourtant pas un modèle d'humanisme.
L'envie de gagner n'est pas une récompense, la victoire en est une...

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