vendredi 7 mars 2014

Suzie, pour l'espoir...

Poupée Waldorf SuzieSuzie, poupée Waldorf ©Happy Fanny
Nous avons le plaisir de vous présenter la dernière née de nos créations. Celle-ci est une poupée qui s'adresse plus particulièrement aux enfants âgés de 3 et 6 ans et bien entendu aux plus grands s'ils le souhaitent.
Une nouvelle poupée Waldorf, une Fannette de plus diront certain(e)s.
Oui, mais celle-ci est un peu particulière, un peu différente des autres, un tout petit peu. Oh presque trois fois rien... Et pourtant....
Mais si, regardez bien. Les cheveux ? Non. Les proportions ? Un peu. Ah...Oui ! Ca y est ! Les bras...et les jambes... Oui, c'est bien cela.
Cette petite poupée Waldorf d'une quarantaine de centimètres (taille équivalente à Adda) est articulée. Petites différences qui ne changent pas grand-chose à ce qu'elle est : une Fannette à part entière, conçue de la même façon, avec les mêmes matières, le même amour, la même passion.
Chaque Fannette a son histoire et nous espérons, en lui associant le "bon" prénom, lui insuffler un peu de vie provenant de cette dernière. Les autres fois, l'inspiration était venue assez vite. Pour elle, franchement, je sèche. Un peu de fatigue sans doute. Je m'en remets donc à l'Ours. Après tout, pour les "enfants", il est partie prenante. Je vois à un léger plissement de ses yeux l'embarras qui le gagne. Je le laisse avec cela, sachant qu'il est inutile de vouloir brusquer ce genre d'animal. Et puis, je sais que son silence signifie l'acceptation de la mission.
Quelques jours passent puis, au détour de la porte de la salle de bains, l'Ours me lâche un laconique...

"Suzie..."

Suzie ?... L'Ours, taquin au demeurant, ne manque jamais dans ce genre de situation de m'adresser un sourire énigmatique signifiant "Devine un peu...". Mais là, son air reste grave et je comprends qu'il n'a pas envie de traiter le sujet sur le ton de la plaisanterie. Je reste figée, en pleine crise de cécité, avec ce prénom qui flotte tel un navire fantôme dans le brouillard de la salle de bains.
Quelques minutes plus tard je rejoins l'Ours qui, aidé en cela par un bol de café chaud, se montre alors un peu plus loquace.
«Tu voulais un prénom différent pour une poupée différente, c'est bien cela? Et bien entendu, tu trouves ce diminutif affectueux de Suzanne somme toute assez banal, c'est cela ? Mais en même temps tu sais qu'il se rapporte à quelqu'un et que cette personne ; une petite fille d'à peine deux ans en l'occurrence ; n'était en rien banale...»
Je sais d'instinct qu'il ne dit pas tout cela gratuitement. Mon silence vaut invitation à continuer. Démarre alors le récit de l'histoire de "Suzie", une petite fille en apparence comme les autres. Un peu déboussolée peut-être après avoir traversé l'Atlantique pour venir vivre en France avec ses parents.
Une petite fille blonde aux yeux bleus, ravissante, mais au regard perdu dans ce lointain du nul part que beaucoup pensaient être le révélateur de son récent déracinement.
Presque pareille et pourtant différente lorsque, sans raison apparente, elle se mettait dans des états de crise que les plus tolérants associaient à la barrière de la langue tandis que les autres la qualifiaient ; avec l'intransigeance des ignorants ; de petite sauvage capricieuse...
L'Ours se contentait alors d'approcher, silencieux, une peluche de Winnie l'Ourson à la main, attendant patiemment qu'elle s'empare du jouet comme d'une bouée de sauvetage, cordon ombilical la reliant à ce monde-ci, à lui-même.
Malgré ces petites différences, insignifiantes, Suzie était une enfant que l'on "entendait pas" et qui s'occupait toute seule, dans son coin. « Ah si les miens pouvaient être comme elle...» se lamentèrent même certaines en admirant la poupée quasi inerte qui semblait ne pas avoir conscience de leur présence.
Presque comme tous les autres enfants lorsqu'elle faisait plusieurs dizaines de fois d'affilée ses jeux d'éveil avec une facilité impressionnante selon un rituel un peu déconcertant pour qui n'y était pas habitué.
Presque comme tous les autres enfants lorsque qu'elle s'approchait de l'Ours puis attendait patiemment, en lui tournant le dos, qu'il se saisisse d'elle et la dépose sur ses genoux. Alors elle se blottissait, oisillon si fragile, au creux de son épaule. Peut-être recherchait-elle l'apaisement dans le bruit régulier et sourd que pouvait émettre son coeur, peut-être effectivement y percevait-elle l'écho de sa propre humanité...
Une petite fille finalement presqu'identique et si différente à la fois comme peuvent l'être tous les enfants.
L'Ours parla longuement avec les parents. Leurs craintes initiales ; que certains auraient voulu faire taire en utilisant leur arme favorite, ce mutisme condescendant qui voudrait impressionner faute de pouvoir expliquer ; se muèrent en débuts de certitudes. Des mots, des cases, des boîtes là où les yeux et le coeur suffiraient le plus souvent. Inquisitions inacceptables faites aux mères qui se battent contre le silence visant seulement à étouffer l'incompétence et le cynisme d'une corporation d'un autre temps, l'inhumanité de tout un système qui semble totalement hermétique à la souffrance et se contente de rejeter la faute sur elles. Faute d'avoir à proposer mieux, faute d'avoir l'intelligence de se remettre en question...
De retour aux Etats-Unis pour les fêtes, Suzie resta quelques semaines supplémentaires afin de rencontrer des spécialistes, des vrais...
Elle aura ainsi pu être diagnostiquée très tôt ce qui, d'après ces derniers, contribuerait à envisager de pouvoir la rendre un peu plus "presque" comme les autres. L'avenir et le travail de gens sérieux allaient pouvoir en modeler toutes les nuances. Quelques années plus tard, l'avenir décida que Suzie allait poursuivre une scolarité "presque" normale.
Un pas de plus sans trébucher, une lueur de plus pour baliser un parcours semé d'intolérance et d'obscurantisme imbécile.
L'Ours ne la revit que deux fois au cours de brefs séjours qu'elle fit durant les dix huit mois qui suivirent. Il put constater avec bonheur les progrès accomplis.
Un silence s'installa tandis que l'Ours se versait un autre café. Puis, les yeux encore emplis d'indignation, il poursuivit :
« Ajoute moi donc deux petites flammes dans les yeux de Suzie...».
J'émis un début de protestation autour de l'idée du style qu'il balaya aussitôt d'un rire-grognement carnassier :
« Ce conformisme réducteur va finir par m'agacer. La flamme c'est tout simplement l'Espoir. L'espoir qu'un jour, ces enfants "presque" comme les autres, puissent enfin être considérés et traités comme ils devraient l'être : tout simplement en Etres Humains. Parce que n'est-ce pas ce qu'ils sont en définitive, qu'on le veuille ou non?
L'espoir aussi de voir disparaitre tous les faux-semblants ; je veux parler de ce poison qu'est la discrimination positive, de toutes ces lois, artifices propres à rassurer les consciences, inutiles parce qu'inapplicables, ni jamais appliquées d'ailleurs ; faits pour contraindre le regard des Autres à changer. Surtout pas le "notre" et finalement celui de personne...
A cela je préfère l'Espoir d'un éveil qui finisse par inciter les consciences à accepter. Car reconnaître est probablement ce qui fait peur au plus grand nombre et souvent à ceux auxquels on s'attend le moins! Accepter c'est faire se rompre les digues de l'indifférence, c'est faire tomber les murailles que l'on a érigées pour se préserver de ses propres angoisses.
Alors, en articulant les membres de cette poupée, tu as transgressé un interdit ridicule que tu t'étais toi même fixé, continue donc de donner vie à l'ensemble. Somme toute trois fois rien, juste cette petite particularité. Comme ces petits riens qui ont fait de Suzie ce qu'elle est. Cet ensemble de "presque" quelque chose qui n'aura pu me faire dévier de l'essentiel : ce que j'ai pu lire dans ses yeux, qui parfois se mettaient à briller, lorsque nous scrutions ensemble le lointain de ce nul part que nous voulions merveilleux.
Moi, c'est avant tout cela qui me fait espérer!»


Dis comme ça...

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